TECHNIQUE & QUALITE :

Le fichier numérique d'une image contient sa définition (nombre de pixels), sa forme (largeur/hauteur), et aussi la couleur et luminosité de chaque pixel, cela suffirait pour l'imprimer ou la visualiser, mais les fichiers contiennent beaucoup d'autres infos qui sont différentes selon le format informatique utilisé (Raw, Tif, Jpeg...).
La question qui fâche : Faut-il tout garder ? En fait, ça dépend : pour archiver, il est préférable de conserver le maximum d'infos, voire même un doublon ; pour la présentation (impression, visualisation) certainement pas, dans les § suivants, je vais essayer de déterminer les éléments qui me semblent conditionner les qualités techniques d'une photo.

1) La composition de l'image est essentielle pour la rendre lisible. Pour faire apparaître clairement ce à quoi je veux faire allusion, je préfère prendre un exemple dans le domaine de la composition qui me semble très parlant. Lorsque vous commencez à connaître les impressions qu'il est possible de provoquer avec la lumière, la focale, la vitesse etc. vous pouvez donner une connotation, une singularité à vos clichés, voire «tricher» pour «échapper» au réel.

Il est même possible de mentir effrontément comme dans l'exemple ci-dessous :

 Est-il besoin de disserter longuement?

Dans cet exemple trivial, il est possible de présenter 2 histoires différentes tirées d'une même scène selon le cadre choisi.


En quelque sorte, la photo vérité n'existe pas. Il faut en prendre conscience chaque fois que vous appuyez sur le déclencheur. Vous ne montrez que ce que vous avez décidé de montrer, c'est votre regard et pas celui de quelqu'un d'autre, vous marquez le monde de votre empreinte.


Très souvent, vous rejetez ce qui vous gêne et amplifiez ce que vous aimez, c'est humain, mais certainement pas "mécanique" comme un capteur qui enregistre tout sans "état d'âme" comme on va le voir plus loin.

L'analyse de la composition porte sur : la lumière, l'équilibre des « couleurs », le cadrage, les lignes de force, les plans, la profondeur de champ. Tout ceci fait l'objet de nombreux articles bien souvent complets et faciles d’accès, je ne m'y attarderai donc pas ici (voir une initiation ici).

 

 2) Le contenu de l'image :
De façon consciente ou non, notre cerveau filtre un certain nombre de données lorsque nous mettons en alerte l'ouïe ou la vue pour discriminer les infos que notre environnement produit. Au contraire, un capteur,  tout comme un microphone, enregistre tout ce que ses performances lui permettent, y compris par exemple des choses invisibles pour nous (UV et IR par exemple).
 
Petite expérience sonore : essayez une petite vidéo avec un seul micro. Lorsque vous enregistrez une conversation au milieu d'autres, vous arrivez sans peine à la suivre, mais lorsque vous voulez écouter l'enregistrement, horreur ! Vous vous apercevez que le brouhaha ambiant vous interdit toute compréhension. Heureusement, un ingénieur du son sait comment faire en sorte que les voix qui ont de l'importance puissent être discernées.

En photo, il se passe exactement la même chose : une image brute contient énormément d'infos et certaines ne sont pas utiles.
A la prise de vue, il est possible de filtrer pas mal de choses :
- par la forme du cadre
- avec l'angle de champ
- en limitant la profondeur de champ
- avec divers filtres (UV, IR, Polarisant...), des caches, des ombres etc.
Ou renforcer certains éléments :
- avec un flash, des projecteurs ou des réflecteurs
- avec des filtres (scintillant, translucide...).
Quelques informations sélectionnées sont envoyées au capteur. Ensuite, l'image brute sera  copieusement triturée pour faire ressortir ce qui vous semble important : balance des blancs,  contraste, cadre et bien d'autres paramètres seront modifiés. Avez-vous triché? Pas vraiment, vous débarrassez votre image d'infos qui sont sans intérêt. En quelque sorte, elle devient plus propre, plus sobre, plus lisible.On peut même arriver à quelque chose de ce genre.

 

J'ai trouvé cette photo de Sam Abell sur ce vieux blog archivé. Si vous voulez sourire un peu, rendez-vous ici .

Bon maintenant que vous avez bien ri, passons aux choses sérieuses.

A quoi servent 16 millions de couleurs quand votre support (papier ou écran) n'en restitue que 120 mille ?

De même, à quoi sert de conserver 24 mégapixels pour des écrans qui en contiennent tout juste 2 ?

 

- Expérience 1 : Affichez une image de très grande définition sur un écran très petit, la réduction provoque des sortes de concrétions lumineuses. Avec un logiciel quelconque réduisez l'image de façon à ce qu'elle ne soit pas plus grande que votre écran (un pixel image = un pixel écran) et l'image devient « parfaite ».
- Expérience 2 : prenez une photo qui contient des hautes et basses lumières, dans ces zones, plus aucun détail n’apparaît, pourtant, lorsque vous avez pris une photo dans un sous-bois, vous n'aviez aucune difficulté pour repérer les champignons à l'ombre des buissons, mais sur la photo, rien. Il faudra utiliser la technique HDR par exemple, pour les faire apparaître, tout en conservant une clairière lumineuse en arrière plan.
En résumé, une image de bonne qualité technique doit avoir des caractéristiques adaptées à son support.

 


3) Le rendu :

Couleurs            Nuances de gris     Noir&Blanc(bicolore)

L'image ci-contre n'a aucune valeur artistique ou informative, elle n'est là que pour l'exemple. Le rendu de chaque tiers est particulier, il en existe beaucoup d'autres qui ne seraient pas tous présentables à l'écran, tout au plus, cela donnerait une pâle imitation des grains et des nuances rendus par du papier photo, pour simplifier on se contentera de ces 3 exemples.

Note :  Selon la définition, la résolution ou la distance de visualisation, dans la dernière partie, il peut apparaître des nuances de gris. La résolution des écrans est telle qu'il faudrait visualiser des images de grande définition à plusieurs mètres pour observer ces effets, donc, on s'en passera. Si vous avez envie de jouez avec le grain, je vous recommande de vous lancer dans l'impression à haute résolution et grande définition sur papier mat de ce type de rendu.


Chaque rendu est plus particulièrement employé dans un domaine, par exemple :
- la couleur pour une photo « vérité »
- les nuances de gris sont très employés pour la photo de rue, le portrait et le nu.
- le N&B pour le graphisme ou pour donner un coté "dramatique" au sujet.

Lier un rendu avec un type de prise de vue me paraît normatif :
- La couleur apporte des informations complémentaires ou supplémentaires qui peuvent être même envahissantes, mais aucune vérité objective supplémentaire.
- Les nuances de gris ont été longtemps utilisées par de grands artistes photographes de rue, certes, mais simplement parce  qu'ils n'avaient pas le choix ou pour mille autres raisons que «parce-que-le-sujet-doit-être-traité-ainsi». Continuer à le faire, relève du stéréotype. Il serait même parfaitement absurde de le faire dans certaines régions d’Asie ou chaque couleur vestimentaire a une signification particulière par exemple. Non seulement, il y a perte d'information, (la signification de la hiérarchie des personnes disparaît) et sans être à cheval sur un quelconque protocole social, le sens de la photo pourrait devenir inaccessible.

En revanche, son utilisation est particulièrement adaptée à la photo de nu parce qu'il restitue avec une grande finesse le grain de la peau et sublime facilement le modèle (il y a d'autres façons d'y arriver).
- Le N&B donne une impression d'ancienneté, il n'y a aucune raison de se cantonner à cet unique usage. De fait, les sensations traduites sont particulières, et pour cette raison de grands artistes japonais peignent toute leur vie à l'encre de chine noire, alors que la couleur existe depuis belle lurette. Le SUMI-E (nom de cette technique orientale) vous en apprendra bien plus sur le grain, la composition et la touche sensuelle que bien des cours de photographie moderne.
En conclusion, il n'y a pas de raison d'associer un rendu à un type de prise de vue ; surtout par tradition ou parce qu'un artiste l'a déjà  fait, car d'une certaine façon on se cantonne dans le plagiat. En revanche, il est tout indiqué d'utiliser un rendu particulier pour ajouter du sens ou renforcer le contenu, lorsque le sujet s'y prête.

 

Un exemple parlant pour un méditerranéen :

 

Il ne fait aucun doute que les 2 paniers du haut contiennent des citrons, mais dans le panier du bas, citrons ou oranges amères?

 

 

Les photos N&B n'ont subi aucun traitement particulier, ni sur le contraste, ni sur la luminosité. Dans celle du haut, la valeur du gris est proportionnelle à la luminosité, dans celle du bas à la saturation de la couleur. Notre cerveau associant "jaune" avec "luminosité", l'effet est assez perturbant.

 

 

Note : Pour un spécialiste de la culture des agrumes qui s’appuie sur d'autres éléments pour identifier la qualité d'une production,  la photo du bas est plus riche en informations.

 

 

4) La définition de l'image : Le spectateur ne doit pas être gêné par la taille des pixels lorsqu'il regarde une photo dans son ensemble et aussi parfois lorsqu'il veut en observer un détail.
- S'il s'approche à ~25 cm, le calcul montre que la photo doit alors avoir une résolution de 350 dpi. Les imprimeurs qui n'utilisent pas du papier photo mais un papier plus ordinaire qui diffuse un peu l'encre estiment que 300 dpi est suffisant.
- Autre exemple simple : Pour être observée dans les conditions qui reproduisent la perspective, une photo prise avec un objectif standard (angle de champ 45°) et imprimée au format A3 (~ 30x42 cm), doit être vue à une distance égale à la diagonale de l'image (~50cm). Une impression à 150dpi est suffisante. L'image devra donc être constituée d'environ 4,4 mégapixels.
En résumé : les images courantes de format A6 (~10x15cm)  à A2 (~42x60cm) nécessitent une définition comprise entre 2 et 9 mégapixels environ selon la qualité exigée et les conditions d'observation.
Il s'agit de la définition d'une image finale, l'image de départ devra donc avoir une définition un peu supérieure compte tenu du fait qu'elle est presque systématiquement recadrée.

 


5) La technique proprement dite :  focale - sensibilité - vitesse - diaphragme
Cela peut paraître curieux, mais ces paramètres ne doivent pas être pris en compte, car ils sont dictés par la nécessité ou votre créativité.

Une autre question qui fâche :
Comment peut on prétendre que la technique est sans importance ?
Évidemment, on ne peut pas dire que la technique ne sert à rien, c'est le fondement de l'art, mais seul le photographe qui a pu s'en libérer (en réalité, il l'a complètement intégrée) commence à maîtriser son art.

Pour faire un parallèle :

On ne peut pas dire que l'enfant qui apprend à dessiner les lettres, orthographier les mots, etc... soit un écrivain, en revanche, il est bien admis que celui qui a intégré quelques techniques d'écriture peut prétendre au statut d'écrivain, journaliste ou chroniqueur, alors pourquoi n'en serait-il pas de même en photographie ?


SYNTHESE :
- Une résolution et une définition adaptée au support.
- Un rendu adapté au support et significatif au regard du sujet.
- Le respect d'un minimum de règles de la composition (pas forcément toutes).

Concernant la sobriété, la lisibilité, la simplicité  d'une image, il ne faut pas tomber dans le travers qui consiste à « nettoyer » les photos, pour ne garder que des couleurs vives, d'un effet kitsch à souhait. En réalité, de nombreuses nuances sont perdues (et par la même occasion de nombreux détails), ce genre de manipulation flatte l’œil plus à la façon des bijoux de pacotilles qu'un art épuré.


Note : Le présent article s'appuie sur les travaux d'Oskar Barnack, un peu d'optique géométrique, et quelques éléments de la vision de l’œil humain. Les chiffres et calculs sont approximatifs, sachant que l'acuité visuelle est très variable, une grande précision est sans intérêt, de simples ordres de grandeur sont suffisants.